Pierre Boulat

Bonne nuit, Pierre

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Glose destinée à égarer définitivement le lecteur. Inutiles de discuter, Monsieur le contrôleur des goûts et des couleurs, vous ne trouverez aucun lourd secret derrière ces images qui chatouillent la rétine et la raison. Tout y est sens dessus dessous, à la fois dedans, dehors et alentour ce qui est tout à fait normal puisque les usines du possible ont fait éclater leurs chaudières pour nous révéler les fruits maraudés par Pierre Boulat dans les espaliers labyrinthes de la mécanique quantique. Ceci, en langage liturgique, pourrait porter le joli nom d’Epiphanie.

Dans une java à tout casser notre homme, capable de faire rêver les cailloux des Leica comme on parle aux oiseaux, aurait fait tourner la tête de Théodora impératrice régente de Byzance qui, dans les gravats du sacré laissés par les iconoclastes, avait en son temps d’or et de pourpre rétabli le culte des images. Pierre Boulat est à la fois un dynamiteur et un adorateur d’icônes.

Et s’il s’est ainsi lancé dans son entreprise d’effraction amoureuse des formes et des couleurs, c’est la faute d’un certain Max Planck, physicien, qui obtint le Prix Nobel en 1918 pour nous avoir pulvérise la réalité. En établissant qu’elle était à la fois pleine de trous et de grains d’énergie il a fait d’elle une mosaïque dont les tesselles serait bien capables de s’organiser selon une multitude de figures ou de constellations parfaitement imprévisibles pour nous réserver les surprises les plus atroces ou les plus divines. Depuis, les physiciens qui sont les poètes de notre siècle ont lance une nouvelle invitation au voyage appelée “théorie du Chaos” et l’on jalonnée de quelques mots magnifiques. Pour designer par exemple les harmonies qui s’improvisent dans les turbulences, ils les appellent les “attracteurs étranges”.
Pour que les surprises de la mosaïque en folie soient exclusivement divines Pierre Boulat nous fait et nous réussit magistralement le coup des “attracteurs étranges”.

Le Big Bang original de cette aventure a retenti en 1972 sur une piste du désert de Kalahari. Un 4 x 4 Landrover qui transportait Pierre Boulat s’est écrasé ce jour là contre un camion et, dans le trou noir engendré par la collision se sont engouffrés et mêlés, jusqu’à former une masse critique les éléments suivants : les ossements-outils de l’ouverture de “2001 Odyssées de l’espace” dont la victime de l’accident venait de provoquer et de photographier la première valse de l’espace, l’invasion des circonvolutions mentales du même patient par les blancs effluves de la morphine qui fut alors administrée, un histoire d’ouverture de diaphragme et de distances focales dot le langage chiffré se glissait en douce dans les équations de Max Planck et enfin, une banale explosion de coquelicots surprise dans un champ de la plaine beauceronne. Cette dernière a fourni les grains de matière et a réactivé la mémoire des grains de pivot, le reste a construit et alimenté l’alambic où tout fut brassé et distillé.

Vous avez tout compris. Le voyage qui se poursuit ici a commence sur la rampe de lancement d’un lit d’hôpital. “Comme un p’tit coquelicot mon âme…” Pour avoir le bonheur de s’y perdre il suffit de suivre le guide

Comme Max Ernst prolongeait ses toiles par des titres qui s’intégraient à leur substance pour dilater leur magie, Mister Boulat prolonge dans ses légendes buissonnières la chanson de ses images.

Dominique Eudes