Pierre Boulat

Carrare

-

Pour le National Geographic Magazine
Folie et frénésie à Carrrae

On dit que le marbre parle, qu’il comprend et qu’il peut rendre fou. Le désir de le toucher, de le posséder et de le faire plier peut devenir une impulsion irrésistible. Pour s’en rendre compte, il n’est que de se rendre à Carrare, petite cité toscane au pied des alpes Apuanes, à quelques kilomètres au nord de Pise; Là, et dans les villes satellites – Massa, Querceto, Seravezza, Pietrasanta – on ne voit, ne parle, ne pense que marbre. Et la passion de la pierre s’infiltre en vous aussi insidieusement que l’air chargé de poussière de marbre que l’on y respire. Les routes qui y mènent, venant des carrières,se tordent entre frênes et chataigniers comme des langues pétrifiées jalonées de blocs qui semblent abandonés. Partout des scieries, désordonnées, encombrées ; des torrents liquoreux et blanchâtres et quand on rencontre une maison nichée entre deux cyprès, on découvre dans la façade, ocre ou rouge, que les encadrements des portes et fenêtres sont de marbre massifs. Tout comme d’ailleurs les stèles des cimetières, les dessus de table des bistrots ou le pavement des places.

Dans le port de Carrare, les masses imposantes des cargos attendent leur tour pour venir charger ou décharger les énormes blocs de marbre qui s’entassent sur les quais.
C’est ici, au-dessus de Seravezza, sur le Mont altissimo, que Michel Ange venait choisir ses blocs de marbre brut. Sa supposée présence en ces lieux a grandement contribué à faire de Carrare l’un des premiers centres de sculpture ; Ils sont peut-être deux cent qui semblent vivre de la poussière de marbre qui s’incruste dans les pores de leur peau et qui bénéficient de tout le matériel nécessaire au travail du marbre, que la coopérative ou les différents ateliers de sculpture mettent à leur disposition.