Alexandra Boulat
L’éclatement de la Yougoslavie, 1991 – 1999
« À la fois constat et témoignage, ces photos montrent, le drame humain de la dernière guerre du xxe siècle : des miettes, des bribes, des éclats d’humanité déchirée, meurtrie, qu’aucune revendication nationale ou religieuse ne peut justifier. Vukovar, Mostar, Sarajevo sont autant de noms devenus symboles de l’inacceptable.
Tout a commencé alors que j’avais 27 ans, et mon regard sur le monde était encore celui d’une adolescente. La vocation de photographe, que j’héritais de mon père, ne m’avait jamais confronté ni à la mort, ni à la violence, et la guerre n’avait pour moi qu’une valeur abstraite.
Vers la mi-mai 1991, alors que je parcourais les républiques Yougoslaves pour y faire un reportage que l’on intitulerait en toute innocence “L’éclatement de la Yougoslavie”, en Croatie, je me vis interdire l’accès au village de Borovo-Selo par une bande de paysans Serbes. Cagoulés, armés de fusils de chasse, ivres et agressifs, ils étaient postés sur une barricade constituée d’engins agricoles. La route, arrosée d’huile de vidange luisait sous le soleil d’une fin de journée orageuse.
La tempête n’allait éclater que le mois suivant, à la fin Juin. La Slovénie et la Croatie déclaraient leur indépendance. Alors, et durant plusieurs mois, une pluie d’obus s’abattit sur la ville de Vukovar et les campagnes environnantes.
Quand tous les villages Croates à majorité Serbes furent enfin dévastés, la communauté internationale ne parlait pas encore de purification ethnique.
En Croatie, la tuerie était terminée et le peuple imaginait déjà le pire pour le sort de la Bosnie-Herzégovine. Un rythme implacable allait emballer les combats et battre la mesure des nouvelles alarmantes relayées par tous les médias.
Ainsi, pendant presque dix ans, j’allais accompagner au cimetière des milliers de personnes, Croates, mort pour la Croatie, Serbes pour la Grande Serbie, Bosniaques parce qu’ils étaient Bosniaque et à la fin, Albanais, au Kosovo, parce qu’ils en avaient marre des Serbes.
D’un sang épais ma conscience bourdonnait, habitée par les bruits sourds de la guerre, si proche, si présente. Dès lors, en Yougoslavie j’ai découvert comme par défaut la haine de l’amour et l’amour de la haine.”