Alexandra Boulat

Urgences

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Alexandra a passé plusieurs semaines dans les services d’urgences des hôpitaux de la banlieue parisienne : Henri Mondor à Créteil, une banlieue à population mixte, Delafontaine à Saint Denis, au pied de la cité de la Courneuve et Lariboisière, le plus grand service d’urgence de la ville de Paris, avec une moyenne de 170 à 200 prises en charges par jour : l’usine !

Les médecins lui recommandent de passer une blouse blanche, pour s’intégrer pleinement, et d’être présente pendant les nuits de pleine lune, de ne pas manquer la période des payes de fin de mois, pour les agressions à la sortie de la poste, ou de venir le lundi, une journée souvent chargée, à cause des fins de week-end moroses et du calcul du “Lundi aux urgences, mardi au soleil”.

“Accès codés, portes vitrées opaques et automatiques qui ne s’ouvrent que de l’intérieur du service, cadenas à tous les casiers, vigiles en costume bleu marine et au teint blafard, autant de détails qui évoquent un problème de sécurité. “ Certains patients à bout de nerf après des heures d’attente deviennent agressifs!

«Un soir comme les autres, en milieu de semaine, je passe quelques heures dans la salle d’attente des Urgences de l’Hôpital Delafontaine à Saint Denis. Au lieu des odeurs de tabac communes aux lieux publics, c’est une odeur d’alcool, d’urine et de détergent qui plane. Sur les trois distributeurs de boissons, un seul est en état de marche. Accrochée en haut d’un mur, une attelle en métal noire rappel les jours ou il y avait encore une télévision pour contenir les impatients. La porte des toilettes, entre ouverte, est criblée de graffitis et, près de l’interrupteur, je note une giclée de sang séché… celui d’un toxicomane, qui, après avoir été chercher son kit pour intraveineuses, distribué gratuitement à l’accueil, a dû se précipiter dans les toilettes pour aller se shooter.

A peine entrée dans la salle d’attente, je suis tout de suite interpellée:
-Madame ! Aidez- moi ! Je suis bourré ! Le type n’a pas vingt ans, il est d’origine africaine, sa
main tendue vers la mienne est couverte de bagues et de bracelets.
-Attendez! Une infirmière va venir vous aider. Moi je ne suis pas docteur mais juste
photographe.
-OK! C’est pas grave, Madame Docteur Photographe, aidez- moi, ayez pitié, faite quelque
chose! Et le type s’écroule à mes pieds, soudain totalement inerte.

Outre les clavicules cassées, les week-ends trop près du barbecue, les accidents de la voie publique, les malaises en tout genre et les attaques cérébrales de plus en plus courantes, les urgences sont l’hospice de toutes les tentatives de suicide, over doses, dépressions et crises d’hystérie..

Aux heures d’affluence, le personnel bien rodé est à cran et l’hospice de la charité montre son vrai visage. Sylvie, qui est arrivée a Henri Mondor avec “un gros chagrin”, l’estomac plein de médicaments absorbés par ordre alphabétique, finira attachée à un brancard. Fernanda, malgré ses larmes et de vagues rougeurs en bas du dos, n’arrivera pas à convaincre le médecin qu’elle a été battu par son mari. Son dossier sera traité sur le champ et elle ne passera même pas la nuit à l’hôpital.”